VIRGINIE adapte la vie de sa boulangerie-pâtisserie aux exigences liées au Covid19: des défis liés à la santé, la peur des clients, mais aussi de nouvelles formes de solidarités qui se jouent dans un moment où nous sommes tous confrontés aux mêmes contraintes et incertitudes.
Peux-tu te présenter, ton activité et ton parcours?
Je gère une boulangerie-pâtisserie, Maison Chantrelle, dans une rue commerçante à Paris et j’ai 42 ans. Après avoir fait des études de lettres modernes, pendant lesquelles je travaillais en boulangerie, je suis tombée amoureuse d’un pâtissier. Nous avons monté notre boutique il y a 20 ans.
Comment cela se gère avec ta vie de famille?
Nous avons deux enfants et j’habite au-dessus. Après notre séparation, j’ai gardé la boulangerie, géré toute seule avec un chef pâtissier mais qui est parti. Puis il y a eu la crise, j’ai continué et mon ex-mari m’a finalement rejointe pour remonter le business, chacun avec notre spécialité. Je m’occupe de la gestion, de la vente, du personnel, et lui de la production. C’est une activité non-stop, car la fabrication se passe la nuit, et la vente le jour.
Quels sont les impacts de la crise du Coronavirus sur ton activité?
Mon chiffre d’affaires connaît une perte de 60 à 70 %. On est recentré sur la vente de pain et de viennoiseries. La plupart des produits sont sous cloche. On adapte la production (moins de sandwich vu que les bureaux sont fermés) Les commandes de Pâques ont été annulées. Dans la présentation, on va à l’essentiel, les fantaisies sont limitées et on ne met plus rien en face-à-face avec le public.
Sur une équipe de 10, il y a une malade, d’autres qui doivent garder leurs enfants, j’ai moi-même été malade, mais suis guérie… bref, on n’a plus que deux personnes en fabrication et deux vendeuses. Mais les clients sont aussi moins nombreux: j’ouvre plus tard le matin et je ferme plus tôt le soir.
Quelles difficultés rencontres-tu?
On n’a pas de masque mais des gants en plastique, des produits désinfectants classiques pour les surfaces mais pas de matériel adapté contre le virus. Je récupère du gel désinfectant que les clients peuvent me donner, car toutes les pharmacies sont dévalisées. Les gens rentrent un par un dans le magasin ils sont respectueux de cette règle qui est dans leur intérêt.
On a mis des affichages obligatoires pour la sécurité, du marquage au sol mais quand même, on manipule de la monnaie… Les directives précises sur les gestes d’hygiène sont arrivés très tardivement. J’ai quand même 600 à 700 clients par jour: on a mis le maximum de baguettes préparées dans des sachets en papiers.
Quelles satisfactions s’il y en a?
Les gens avaient peur au début et étaient assez agressifs. Mais maintenant, ils sont plutôt bienveillants et reconnaissants que notre boulangerie reste ouverte.
Avec la boulangerie, j’ai une activité d’utilité publique : on n’a pas le droit de grève, des zones d’implantation nous sont imposées. Donc on ne peut pas fermer si facilement. On s’adapte au jour le jour.
Qu’est-ce que t’inspire cette période inédite pour l’avenir?
Pour l’avenir cette crise m’inspire un souhait : j’espère une rupture avec la société qui devrait reconnaître les limites de ses modèles économiques, de consommation exagérée. On voit que les gens sont généreux : mes clients me manifestent des signes d’encouragement et de bienveillance. Je fais partie de « pâtisseries solidaires » qui récupère les invendus pour les donner aux associations et aux personnes qui en ont besoin comme les Restos du cœur. Aujourd’hui ces associations n’ont plus le droit de fonctionner, les maraudes sont interdites. Je pose donc des viennoiseries et du pain le long du magasin pour que ceux qui en ont besoin puisse se servir. La solidarité se joue au jour le jour en fonction de l’initiative de chacun. Les réactions des clients me font penser qu’une autre forme de vivre ensemble est possible. Le respect et la solidarité existent encore.
Pour aller + loin :
Boulangerie Pâtisserie Maison Chantrelle : 57 Avenue du Dr Arnold Netter-75012 Paris