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14 février 2016

Rossana, « Une relation plus importante pour les femmes que les hommes avec leurs créations, comme cette aptitude naturelle à donner vie" "Women have a particular relationship with creation, like an ability to give birth…"

DSC_0161Activité: Designer d’intérieur, créatrice de la Pasionaria, boutique d’artisanat et vêtements, librairie, galerie d’art, restaurant
Activity: Interior Designer, creator of la Pasionaria, handicraft, clothes and book shop, art gallery, restaurant Address: Montevideo (old city-vieille ville) Uruguay – rossana@lapasionariacom.uy
Website: www.lapasionaria.com.uy 

Montevideo, le 23 aout 2009

PRESENTATION
Je m’appelle Rossana de Marco, je suis uruguayenne, designer d’intérieur et artiste. J’ai créé la Passionaria. C’est un très beau magasin ici dans Montevideo en Uruguay.
TON PARCOURS :
J’ai suivi une formation professionnelle en design d’intérieur et arts visuels. Pendant de nombreuses années, j’ai travaillé dans l’un de ces domaines ou dans l’autre. Et en 2002, j’ai commencé à développer un projet de boutique de design uruguayen. En 2003, je l’ai concrétisé : « Imaginario sur » proche du marché du port dans Montevideo, pendant quatre ans. Puis j’ai eu envie d’étendre le projet, d’ouvrir une librairie, que le café se transforme en restaurant, que chaque espace devienne plus identifié : l’espace des objets, l’espace des vêtements, une galerie d’art bien définie. Et c’est comme cela que j’ai décidé d’acheter cette maison dans le quartier de la vieille ville de Montevideo, et commencé à projeter cet espace, comment j’allais l’organiser.
En 2008, j’ai ouvert les portes de la Passionaria. Je suis seule dans ce projet pour l’espace de la boutique, la vente des objets, de l’art. Pour le restaurant, je me suis associée à une personne qui connaît la gastronomie. Mon rêve pour ce lieu, c’est d’en faire un espace ouvert, vraiment, et à toutes les activités créatives qui peuvent se développer dans notre pays. C’est d’être une fenêtre ouverte sur le monde aussi, pour le touriste, avec un lieu où l’on se fait plaisir, où l’on peut acheter un cadeau, voir une exposition d’art uruguayen. Je voudrais que les clients passent trois ou quatre heures agréables, qu’ils se sentent bien, que les gens s’approprient cet espace.
J’ai aménagé ces 250 mètres carrés à ma façon : en plus de la librairie, de la boutique, de la galerie d’art, du show-room vêtements et du restaurant, j’ai toujours mon studio de design,… J’ai conçu les meubles, l’aménagement et le style de la Passionaria avec un cabinet d’architecte. Comme designer d’intérieur, je cherche à ce que tout soit clair, épuré, fonctionnel, que les meubles soient le plus pur possible, pour mettre en valeur les objets, l’expo, le repas…
La maison date de 1856, on a notamment fait des travaux de toiture, et renforcé l’ensemble de la structure, mais le contraste entre l’ancien et le moderne me plait beaucoup.
TES SATISFACTIONS ET SUCCES:
Il ya plusieurs points qui m’apportent satisfaction :
à partir d’une vieille maison abandonnée, pouvoir visualiser son futur, pouvoir l’organiser et lui donner une nouvelle vie.
Je fais une sélection des artistes pour la boutique et la galerie. Cela me plait beaucoup, car nous avons une créativité très fertile dans notre pays, et beaucoup d’artistes cherchent à développer leur activité, à montrer ce qu’ils font, à trouver de nouveaux projets. On assiste à une professionnalisation de l’art qui n’existait pas il y a quelques années.
Le travail collectif autour du renouveau de cette maison me passionne  vraiment: la communication permanente avec beaucoup d’autres créatifs, designers, artistes, architectes… Le dialogue au quotidien avec les artistes est très riche : présenter leur travail, les accompagner pour valoriser leur démarche…
Le contact avec les clients me plaît également : ils se sentent très impliqués et recommandent mon adresse à des amis. Le bouche à oreille est très important, le site internet aussi. Certains clients sont devenus des amis. C’est très satisfaisant de rencontrer toujours de nouvelles personnes.
TES DIFFICULTES ET CONTRAINTES: 
Etre seule me facilite beaucoup les choses : je prends les décisions très rapidement, j’ai un chemin tracé, et le suis assez facilement. Mais en contrepartie, être seule, c’est très accaparant, très exigent, je travaille énormément ici. Je ne peux pas partager avec quelqu’un d’autre les incertitudes, les problèmes. Cela est difficile. Cela s’apprend, alors je m’entoure d’une équipe de travail qui peut me soutenir, répondre à mes questions en cas de besoin, avec qui je peux dialoguer en confiance. J’ai beaucoup à apprendre.
Autre difficulté : ce projet n’est pas vraiment tout public. Il faut comprendre que les objets que je présente sont faits par des hommes et des femmes, que c’est du travail, de haute valeur. Ce sont souvent des pièces uniques ou de petites productions, locales, ce qui explique les prix relativement élevés. Les vêtements, par exemple, sont très sophistiqués, issus d’un réel travail créatif de la conception à la réalisation, un vrai savoir-faire ! Le grand public n’a pas l’habitude. C’est une question d’éducation : un travail auprès des designers pour donner un prix réel à leur travail. Et un travail auprès du public pour qu’ils comprennent la valeur du travail de l’artiste. Derrière le prix, il y a la conception, l’expérimentation avec différents matériaux, le temps de formation de l’artiste. C’est une question difficile car il faut garder un prix de vente accessible, sinon, on risque de ne pas vendre et c’est très frustrant.
C’est un équilibre à trouver : évaluer sur le marché les prix de la concurrence. C’est un projet lent, nous ne vendons pas des kilos de sucre, ni quelque chose de nécessaire, mais les gens doivent avoir un coup de cœur.
C’est aussi une difficulté : c’est long économiquement, pour que les gens s’approprient le lieu, voient l’importance et la valeur du lieu. Il faut avoir une capacité financière de démarrage pour tenir une ou deux années sans revenus. La première année, j’ai fait beaucoup de publicité pour positionner la Passionaria comme un lieu de valeur auprès d’un public ciblé, par radio, journaux, guides touristiques, brochures culturelles…
J’ai un public uruguayen qui a une expérience de ce type de lieu, qui peut s’offrir un repas, un thé, une pièce artisanale, une œuvre d’art, qui a voyagé. Cela nécessite de former le personnel qui travaille avec moi à l’accueil, expliquer à chacun le projet global, pour que le client se sente bienvenu, à l’aise, qu’on lui explique la démarche et l’univers de création dans lequel il entre…
COMMENT EST-CE COMPATIBLE AVEC TA VIE PERSONNELLE ET FAMILIALE?
Je suis mariée et ai trois enfants, dont le plus jeune a 17 ans Il va au lycée français à Montevideo. Avec les gros horaires ici, je suis moins à la maison. Je travaille du lundi au samedi et mes horaires sont lourds. C’est autant de temps que je ne consacre pas à la famille. Ce qui est facile, enfin moins difficile pour moi, c’est que mes enfants sont grands et ont besoin de moins d’attention. Mais la maison, les courses au supermarché, c’est exigent ! Ce n’est pas facile, mais je sais que cela ne sera pas toujours comme cela. Je vais former une équipe, les gens qui travaillent avec moi. C’est mon but, que ce lieu ne me demande plus autant de présence.
Cela fait un an depuis la création et je fais tout : le lien avec le public, le contrôle du stock, ainsi que le design graphique, la communication de la Passionaria, dessiner les objets que nous fabriquons aussi ici ou que nous faisons faire, et toujours comme designer d’intérieur, j’ai quelques projets de meubles, d’aménagements d’espaces, des commandes de cadeaux d’entreprises …
Et pour la famille ??? ! C’est bien, j’ai pris une semaine de voyage avec mon mari en mai, j’organise mon temps : 4 jours à San Pablo, j’ai dû laisser la Passionaria, l’équipe s’est bien débrouillée ! Il faut que j’apprenne à déléguer ! à faire confiance, c’est un gros travail ! C’est le reproche que me fait ma dernière fille : c’est comme si j’avais un quatrième enfant ! Mais il y a autre chose : avant, pendant un an, j’ai travaillé à la maison sur le projet de la Passionaria, alors c’est d’autant plus un sentiment d’abandon ! Mais quand je rentre à la maison, je cuisine quelque chose de bon pour eux, on cuisine ensemble, on va se promener…
COMMENT TE VOIS-TU DANS 5 ANS? ET TES PROJETS?
C’est fou… je sens que la Pasionaria sera solide, que je pourrais ouvrir d’autres lieux, ouvrir de nouvelles boutiques, fenêtres de marché…
Mes équipes de travail seront autonomes et ma présence ne sera plus nécessaire. J’aimerais ouvrir une boutique entre Punta del Este et Rossa del Ignacio, une zone assez chique, avec une clientèle adaptée, cela me plairait.
Je me vois faire des liens entre Santiago du Chili, Buenos Aires, pour la région. C’est ma manière de travailler, je cherche le développement, l’expansion. « Universo Creativo », on a cherché longtemps un nom fort, une signification forte pour lieu le plus large.
UN MESSAGE OU UNE QUESTION AUX AUTRES FEMMES CREATIVES DU MONDE: A San Pablo, par exemple, je suis en relation avec d’autres femmes créatrices, dans le textile, l’orfèvrerie, la céramique…
Il y a une relation de l’objet avec la personne qui le fait, comme un acte de naissance, c’est donner vie à…
Une relation plus importante pour les femmes que les hommes avec leurs créations, comme cette aptitude naturelle à donner vie… C’est important de pouvoir échanger sur ces expériences, s’enrichir.
Les femmes ont souvent aussi des préoccupations sociales, d’aider des petits groupes, des minorités, déplacés, leur apprendre des techniques, la couture… cette transmission se fait de façon intuitive, je trouve cela bien de faire perdurer l’artisanat et bien de valoriser ces pratiques qui méritent qu’on en parle.
Je la quitte, elle est derrière sa caisse, tout sourire pour ses clients en leur racontant d’où vient l’objet qu’ils achètent.